Une façon courante d'expliquer le karma est d'utiliser l'idée de bija. Un bija est une "graine karmique". On peut penser à des graines karmiques plantées dans le sol de l'esprit. Une graine peut rester longtemps dans le sol avant que ne surviennent les conditions qui lui permettent de germer. De même, les graines karmiques peuvent se loger dans l'esprit, en attendant la provocation ou la stimulation qui les mettra en action.
Prenons, par exemple, une graine de colère. À un moment donné, le déclencheur de cette graine se produit. On est peut-être insulté par quelqu'un. La graine de colère germe et l'on ressent sa montée. Parvenu à ce point, on a le choix. On peut suivre les sentiments qui s’élèvent ou on peut éviter cette séquence. Ce moment de liberté est généralement bref. Si l'on ne prend pas l'option de l’évitement, alors la séquence habituelle des événements se déroulera, on se mettra en colère et un conflit s’ensuivra. On sortira de l'interaction bouillonnant d’un affect négatif.
Il y a maintenant deux points importants. Le premier est que même si le karma est inexorable, il comprend toujours un espace de liberté. L'autre point est que, si l’on suit cette analogie, la vieille graine est épuisée. Elle s’est arrêtée (vipaka), mais parce que, une fois de plus, on s’était fâché, de nouvelles graines ont été plantées. On émerge donc de la situation dans son alaya avec le même type de semences, et probablement d’autres de même nature L'alaya est l'accumulation de graines, ou, par extension, la partie de l'esprit où toutes ces graines sont stockées (tout comme le mot "stockage" peut désigner soit les objets conservés, soit le lieu où ils sont conservées).
Si, par contre, on avait interrompu la séquence, la graine du passé aurait encore poussé, mais aucune nouvelle graine n'aurait été semée. Ainsi, on ressentirait encore la colère, mais en n’agissant pas sur elle, la propension à se mettre en colère diminuerait, en réduisant désormais la quantité de graines de colère dans l'alaya.
Bien sûr, nous avons déjà d'innombrables graines dans l'alaya, et l’on ne sait pas vraiment ce qui pourrait surgir ensuite, mais la théorie donne une assez bonne idée de la façon dont la retenue fonctionne. Si l'on contrôle une impulsion, on ressent encore la force de cette impulsion à ce moment précis. Si on la contrôle à plusieurs reprises, les occasions où elle se manifeste deviennent de plus en plus rares et espacées. La retenue n'apporte pas de résultats instantanés, mais elle conduit progressivement à un caractère plus fort et à un esprit plus paisible.
D’une manière plus profonde, l'expérience d'un tel surgissement (samudaya) peut servir de base à une vue et une sagesse bien utiles. Si je suis disposé à cela, je peux me faire une idée de ce que c'est pour tout un chacun, y compris ceux qui ont une vision de la vie très différente de la mienne. Nous sommes tous humains et nous avons tous une histoire karmique. D'un certain point de vue, nous ne sommes rien d'autre que notre histoire karmique. Si je peux ainsi tirer parti de mes expériences de perte de maîtrise, je peux acquérir une compréhension beaucoup plus profonde de la nature humaine et cela peut être le fondement d'une véritable compassion, sous la forme de sentiments fraternels. Nous sommes tous embarqués sur le même bateau, tous soumis au même sort, tous héritiers de notre karma.
Plus profondément encore, le moment de liberté est un aperçu du nirvana. C'est un quantum de bonheur. Cela disparaît en un instant, mais cet instant est comme un miracle. A ce moment-là, on est complètement seul, détaché du stimulus provocateur. Le sens du « je ne suis pas contraint à faire cela », c'est la liberté. Tolstoï a dit un jour, à propos de Lao Tzu : "Toute catastrophe, affligeant les êtres humains, ne résulte pas de ce qu’on néglige de faire ce qui est nécessaire, mais de faire ce qui est inutile". Il y a beaucoup de vérité dans l'idée que nous nous infligeons à nous-mêmes nos difficultés. Quand nos vies sont simples, nous les compliquons. Quand les choses se déroulent tranquillement, nous nous ennuyons. Nous avons une tendance incorrigible à créer des difficultés. L'ancien modèle ne cesse de revenir, sans que nous voyions son désavantage.
Bouddha a mis l'accent sur la retenue, parce qu'il s'est rendu compte qu'il s'agit d'un élément important pour se libérer des effets d’un karma récurrent et aussi parce que porter attention à notre propre liberté est un pas en avant vers le bonheur de l'éveil.
David Brazier le April 25, 2019, traduit en français par Annette et Vajrapala
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