Dans mon premier texte sur le Karma, j'ai évoqué l'idée commune du karma comme un compte moral de profits et pertes où le bien est récompensé et où le mal entraîne des effets négatifs correspondants. Il existe cependant des idées plus profondes sur le karma, des idées que nous pouvons examiner et qui peuvent être utiles à considérer. La vraie spiritualité va au-delà du moralisme.
Il existe un lien étroit entre les concepts de karma et de drame. Quand nous disons qu’une personne fait un drame de quelque chose, nous voulons dire qu'il exagère et qu'il accorde à cette chose plus d’importance qu’elle ne le mérite. Généralement, c’est dans le but d’attirer l’attention. C'est une tactique de l'ego. Par exemple : donner à ma mauvaise santé une importance qui ne se justifie pas, serait probablement un moyen d’attirer la sympathie ou de donner une image singulière de moi-même en tant que héros de la souffrance. Nous sommes tous tentés de faire ce genre de choses, de temps en temps, et certaines personnes deviennent de véritables reines du drame – ou, pourrait-on dire, des rois du karma !
Un drame est une séquence d'actes coordonnés qui ont une dynamique et produisent un effet savamment calculé. Le début de l’élaboration d’un drame entraîne une expectative : on attend qu'il continue à se dérouler. C'est ainsi que les journaux peuvent se vendre et les comédiens susciter des rires. Des histoires sont générées et les gens veulent ensuite lire ou entendre le prochain épisode ou le dénouement. Les personnages de l'histoire sont étiquetés en tant que "bonnes personnes" ou "mauvaises personnes" et tout le monde s'attend aux résultats correspondants. Une grande partie de la vie publique consiste à étiqueter les gens afin qu'ils puissent s'intégrer dans des rôles préétablis. Tout ceci est en fait une structure se superposant au-dessus de la réalité. C'est une excroissance.
Si nous nous référons à cet excès, nous découvrons une nouvelle signification à ce qu’est vraiment le karma. Il est l'excroissance de l'ego. Nous ne parlons plus maintenant de bilan moral, mais plutôt de mise en valeur de soi, de préjugés et de partis pris. Nous pouvons voir à présent qu'il existe un lien étroit entre le karma et les idées bouddhistes de l'ego et du non-soi. Le karma est lié à une inflation du moi. Le karma est généré par la vanité.
Dans la philosophie bouddhiste, le moi est une illusion. C'est l'excès qui génère le karma. Là où il y a le moi, il y a production de karma et là où il n'y a pas de moi, il n'y a pas production de karma. Par conséquent, si le karma est pris dans ce sens, ce n'est pas tant la nature de l'action qui compte, mais plutôt ce que la personne qui l’exécute essaie d'accomplir en se référant à elle-même. La personne qui agit sans aucune implication intentionnelle d'autoréférence ne génère aucun karma, quelle que soit la nature de l'acte.
Ou, sinon, nous pourrions penser - et certains le font - que la personne sans ego génère en fait un bon karma sans limites. C’est pourquoi, si l'on prend la simple idée du mérite, son montant peut être considéré comme le produit d'une fraction dont le multiplicateur a la dimension du don ou l’importance du bien accompli et le diviseur le montant de l'ego impliqué. Ainsi, même le modeste don d'une personne sans égocentrisme vaut plus qu'une grande offrande faite de manière égoïste. Logiquement, si l'élément ego se réduit à zéro, le produit est infini.
Il existe donc deux idées différentes quant au calcul du karma. Le bon sens veut qu’il relève du bien et du mal : cela est davantage le propre des formes de bouddhisme ancrées dans la culture indienne. Dans la culture sino-japonaise, cependant, il y a un autre sens du karma comme étant seulement négatif et nous continuerons à examiner cela dans les sections ulrérieures.
Dans cette section, j'ai mis l’accent sur la manière dont le karma est relié à la théorie bouddhiste de l'ego et du non-soi (anatma). La personne qui, de façon authentique, est modeste et sincère a peu de chances de tuer, de voler, de violer et de mentir. Elle réagit à la situation telle qu’elle se présente et cherche une façon d’y faire face tout en apportant un bénéfice pour tous. Ces personnes font de leur mieux. Elles n'agissent pas pour faire bonne impression sur les autres, mais simplement pour obtenir le meilleur résultat, sans se soucier de leur propre réputation. Elles ne cherchent généralement pas à « comptabiliser ». Elles sont probablement inconscientes du mérite qu'elles sont en train de créer. Dans l'univers du karma, elles deviennent invisibles.
Nous pourrions ajouter un élément de plus à ces observations. Il est assez courant de voir des situations où une personne présente un argument ou entreprend une activité que d'autres critiquent, non pas en proposant une idée rationnelle sur l'action en question, mais en s’en prenant au caractère de la personne ou de son groupe. C'est manquer de responsabilité. C'est une mauvaise tactique qui montre que la personne qui attaque est rongée par le karma, que l'idée en question soit en réalité bonne ou mauvaise. Une "mauvaise personne" peut parfois faire de bonnes choses ou avoir des idées utiles et sensées et une "bonne personne" peut faire des erreurs. D'une part, il ne faut pas interpréter la notion de parole juste comme signifiant que toute contestation est inappropriée, car cela exclurait tout débat raisonnable. D'autre part, cela signifie éviter l'attaque personnelle qui manifeste et génère de la mauvaise volonté, sans amener à quoi que ce soit d'utile.
David Brazier le 28 avril 2019, traduit en français par Annette et Vajrapala
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