L’apparition de la foi (shraddha) est conditionnée par dukkha, dit Bouddha dans le Nidana Vagga dans le Samyuta Nikaya. Dukkha vient de ce que nous sentons que nous vivons dans un monde de souffrance, un monde de naissance et de mort. Si nous n’avions pas cette sensibilité, nous n'aurions pas besoin de foi. Un roc n'a pas besoin de foi, car il est insensible. Si on prend un marteau de forgeron pour le casser, ça ne le dérange pas. Bien que l’on puisse, d’une certaine façon, parler de la mort du rocher, pour lui cela ne signifie rien. Quant à nous cependant, nous sommes sensibles et cela représente un défi. Nous nous engageons donc inévitablement dans une forme de foi. Sans elle, nous ne pourrions rien faire, car nous serions trop perturbés par les risques de cette vie.
REFUGE
Cependant, la foi peut être investie dans beaucoup d’objets différents, certains plus sains que d'autres. L'un des enseignements fondamentaux du bouddhisme est donc de nous conseiller de renoncer à adopter un refuge trompeur et, au contraire, d'avoir la confiance et le courage d'en choisir un qui soit plus fiable. Ainsi, certaines personnes peuvent se réfugier dans la recherche d’une bonne relation, d'autres dans la prospérité, d'autres dans le statut social, d'autres encore dans le pouvoir politique ou dans le dévouement à une cause. Aucun de ces buts n'est mauvais en soi, mais aucun ne constitue un refuge sûr. C'est parce que, en tant que tels, ils n’existent que dans le cadre de l'existence conditionnée et sont donc impermanents. Quand les conditions changent, ils changent. Le seul véritable refuge se trouve au-delà des conditions, dans la foi en ce qui n'est pas impermanent. Dans le bouddhisme, ce sont les Trois Joyaux.
LES TROIS JOYAUX AU-DELÀ DES CONDITIONS
Aujourd’hui les gens ont tendance à perdre de vue cette compréhension du message bouddhiste fondamental. C'est parce qu'ils sont enclins à situer les Trois Joyaux dans le monde des conditions. Ils pensent que le Bouddha renvoie à un homme qui a vécu il y a longtemps et qui est mort ; que le Dharma est un ensemble d'idées qui peuvent être révisées de temps en temps en fonction du changement des circonstances ; que la Sangha signifie la communauté des personnes, pratiquant le bouddhisme à un moment donné. Ces trois éléments, ainsi conçus, ne constituent pas un véritable refuge, car ils sont, eux-aussi, soumis à des conditions et donc à l'impermanence.
Par contre, dans le bouddhisme, le vrai sens des Trois Joyaux est différent. Il s'agit plutôt d'éprouver les Trois Joyaux comme les dimensions d'une réalité spirituelle qui n'est ni conditionnée, ni impermanente. En ce sens, le Bouddha se réfère au Dharmakaya, conçu comme singulier et personnel, le Dharma se réfère au Dharmakaya conçu comme impersonnel et la Sangha se réfère au Dharmakaya conçu comme multiple. "Personnel", "impersonnel", "singulier" et "multiple" font partie de nos façons de concevoir les choses. Elles n'appartiennent pas à la réalité elle-même qui est au-delà des mots. Nous avons aussi beaucoup d'autres mots pour désigner cela : le non né, l'immortel, le Nirvana, le Tao, et ainsi de suite. Toutes ces dénominations ne sont que des doigts que l’on pointe ..... La lune brille sur tous de la même façon, mais n'apporte la paix qu'au cœur de ceux qui la contemplent. Cependant, quand on a un cœur aussi paisible (anjin), cela nous donne le courage d'affronter toutes les circonstances qui peuvent se présenter.
SENCHAKUSHU
C'est dans ce sens que le bouddhisme est une vraie religion et pas seulement une philosophie séculière parmi d’autres. Détourne-toi du faux refuge des objets conditionnés et tourne-toi vers les Trois Joyaux. C'est ce que Honen veut dire en parlant d’un choix décisif. En Terre Pure, les Trois Joyaux sont inclus dans le nembutsu. Quand on a fait un tel choix, on peut avoir ou non une relation spéciale, on peut, ou non, être prospère, on peut, ou non, avoir un statut ou un pouvoir social, on peut ou non, consacrer son énergie à une cause. Mais cela se fera dans le cadre d’une foi véritable et ainsi on ne se laissera pas abattre par les inévitables vicissitudes de ces conditions, on ne ressentira aucun besoin urgent de les posséder toutes. On sera libéré et en capacité de choisir. La foi apporte la liberté, la confiance, le courage et une équanimité plus profonde. La personne dont le cœur est habité par la foi, ne s’avouera pas vaincue, même si elle est jetée en prison ou, selon une image utilisée par Shakyamuni, même si son corps est coupé en deux par une scie.
Quand, en cas de dukkha, on se détourne des faux soutiens et qu’on trouve un véritable refuge, le chemin se déroule naturellement.
David Brazier le 7 novembre 2019, traduit en français par Annette et Vajrapala
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