L'obsession de l'ego

On peut considérer que la psychologie bouddhiste constitue un remède contre l’addiction et l’obsession. L’addiction est officiellement définie comme un mode de comportement compulsif entraînant  des symptômes déplaisants, si on est privé de sa dose. Il existe pourtant un certain nombre d’habitudes compulsives  de pensée et d’action de moindre envergure. Nous pouvons les appeler des obsessions qui ne génèrent pas des effets secondaires très marqués, mais qui tendent néanmoins à dominer notre mental à des degrés divers. En ce sens, pratiquement tout le monde a une tendance obsessionnelle, bien que les objets de ces obsessions puissent changer de temps à autre. Ces obsessions peuvent avoir de bonnes raisons d’être dans la mesure où vivant dans un monde matériel d’existence conditionnée, nous préservons certaines conditions afin de soutenir la vie et la société. Chacun d’entre nous a son lot de conditions favorites avec des pensées, des images et des sentiments qui leur correspondent. Cet ensemble se centre sur une totalité mentale que nous appelons ego : il est en partie idiosyncratique, mais surtout socialement conditionné.

L’esprit ressemble un peu à l’écran d’un ordinateur. Sur les côtés de l’écran s’affichent un flot continu de messages publicitaires attrayants qui nous distraient de notre tâche principale. Ils semblent dire : » Auriez-vous envie de cela ? » Ou bien « J’ai quelque chose de spécial à vous offrir. ! » Et si vous cliquez dessus, vous êtes redirigé sur un programme différent. Dans l’esprit, ces programmes séducteurs sont nos obsessions. Sur l’ordinateur, ces publicités sont ciblées utilisant des algorithmes basés sur notre activité antérieure. Le processus est similaire dans l’esprit. Aussitôt que nous mettons en mouvement notre volition, l’esprit l’enregistre et met en place une répétition en boucle qui continue jusqu’à ce que l’énergie s’épuise. Chaque fois que l’on a recours à la répétition, on renforce l’obsession.

PRATIQUE INTENSIVE 

La méditation peut être définie comme un exercice spirituel où l’on garde à l’esprit un objet  salutaire durant une période prolongée. Dans le présent article, je parle de la méditation dont l’objet salutaire est le nembutsu. Selon la perspective du bouddhisme, les objets les plus salutaires sont le Bouddha, et le Dharma. Le Bouddha et le Dharma sont simplement les aspects personnels et impersonnels de la même entité. Le nembutsu englobe les deux aspects.

Quand nous décidons de garder un objet à l’esprit, aussitôt d’autres objets de pensée font intrusion dans notre espace mental. Même si l’on poursuit le nembutsu au rythme de la respiration, des messages adventices apparaissent continuellement dans un coin de l’esprit. La vivacité avec laquelle ils surviennent est proportionnelle au degré  d’obsession auquel nous les lions.

Cependant, la condition la plus saine est de garder le Bouddha-Dharma à l’esprit. Le Bouddha- Dharma dissout l’ego. C’est pourquoi, en principe, le nembutsu devrait avoir la priorité la plus élevée et si c’est le cas, la méditation sera stable. Cette stabilité et cet équilibre sont le signe de la santé mentale.   

En pratique, nous découvrons probablement que durant la méditation, tantôt le nembutsu prévaut, tantôt ce sont d’autres objets qui prennent le dessus. Cela peut signifier que parfois la méditation devient une lutte. Cependant même ce sentiment de lutte lui-même est rongé par l’ego. Le Bouddha décrit la méditation comme « une observation paisible » ou comme « un état de joie et de détente » ou même comme ‘ « l’équanimité ». Cela nous fait comprendre que la méditation vraiment stable n’est pas une lutte. Il ne s’agit pas de faire effort pour imposer sa propre volonté sur le flux mental. Cela ne signifie pas pour autant  qu’il faut se rendre à l’extrême opposé et laisser simplement être tout ce qui s’élève dans l’esprit. Faire cela, ce n’est rien d’autre que de  sombrer dans son obsession favorite. Il existe un juste milieu, un état équilibré dans lequel l’effort fourni pour atténuer chaque intrusion n’est que  le minimum nécessaire. Cette petite quantité d’énergie n’occupe pas la totalité de notre esprit, mais permet de rejeter l’intrusion à l’arrière-plan de sorte que la récitation du nembutsu demeure au premier plan.

Quand nous pratiquons de cette manière, c’est un peu comme les images présents dans les soutras : le Bouddha fait un discours et toutes sortes d’êtres se réunissent autour pour recevoir le Dharma. Dans l’esprit, c’est la méditation stable, c’est la répétition du nembutsu  qui évoque la place centrale du Bouddha dans l’esprit et tous les objets qui se présentent à l’esprit  deviennent semblables à la multitude venue pour écouter le Dharma. Il ne s’agit pas tant de  rejeter  nos obsessions que de donner à chacune sa place dans l’auditoire  tandis que le nembutsu tient la fleur du Dharma au centre.

PRATIQUE EXTENSIVE

J’ai parlé ici de la pratique en tant qu’exercice de méditation, pourtant quand nous acquérons de l’expérience, nous découvrons que ce n’est pas seulement une manière de faire un exercice, mais que cela devient la caractéristique principale de la manière dont opère l’esprit du pratiquant, pas seulement durant la période de médiation, mais aussi dans la vie en général. L’esprit centré sur le Bouddha-Dharma, alors que d’autres activités se déroulent tout autour, est un état de santé mentale équilibré et l’habitude de faire continuellement retour sur le nembutsu cultive cette stabilité et apporte une joie sans limite.

Quand cela devient le cas, c’est plutôt comme si  chaque activité se faisait dans la salle de méditation. Même si on est en train de balayer le tapis le Bouddha-rupa occupe une place de choix.  Ainsi tout se fait en présence du Bouddha-Dharma, ce qui veut dire dans l’atmosphère du nembutsu. De cette façon, le nembutsu  devient constant et stable, toujours associé même aux activités les plus mondaines. Notre vie tourne autour du Saint Nom, tout devient une activité sacrée et toute notre vie devient le temple du Bouddha. Même si nous continuons à être conscients de notre nature de bombu, notre nature limitée, tout pourtant est touché par l’Autre Pouvoir. Ce qui commence comme une prière au Bouddha, devient l’affaire de toute notre vie en tant qu’elle est une part de la grande prière du Bouddha pour tous les êtres. Alors la pratique n’est plus seulement personnelle ni même particulièrement consciente.

Ce revirement est le tournant crucial dans la vie d’un pratiquant spirituel. Il se pourrait cependant  que cela se produise  sans qu’on s’en aperçoive et c’est généralement la meilleure manière. Il ne s’agit pas de faire une pratique et ainsi vaincre l’ego, car l’ego ne peut pas conquérir l’ego. Néanmoins le pouvoir du Bouddha peut, pour ainsi dire,  entrer par la porte de derrière. La saine radiance du Bouddha nous enveloppe et nous protège et tout est pleinement assuré.

Dharmavidya 14 novembre 2018

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Replies

  • Je pense que "les pensées perturbant" ont une fonction et j'ai l'impression que c'est vraiment ça que Dharmavidya veut dire, je pense que le Bouddha lui aussi, était en contacte avec la souffrance (de toutes sortes) du monde pendant qu'il était en samadhi. Le chemin du milieu n'est pas facile à suivre, être généreux pour les pensées "perturbant" pendant que nous restons en contacte avec l'Autre Pouvoir, mais quelle graçe quand nous restons ouvert pour la lumière.

  • C'est une traduction de Annette, _/|\_ merci Annette, j'ai aussi aimé beaucoup ce texte.

    Dayamay Dunsby said:

    Merci beacoup Vajra. Namo Amida Bu(    ,

  • J'ai trouvé ces  réflexions de Dharmavidya extrêmement intéressantes et j'ai eu plaisir à traduire ce texte. Merci à Vajarapala de l'avoir mis sur le site. Je trouve particulièrement intéressant le parallèle établi entre les pensées  adventices qui apparaissent dans la méditation et les êtres qui font partie de l'auditoire, quand le Bouddha enseigne. Généralement nous sommes irrités, contrariés ou agacés quand des pensées viennent perturber la concentration. Dharmavidya semble dire ici que ces pensées ont elles aussi leur place légitime. Serait-ce à dire qu'elles participent elle-aussi à leur manière à l'enseignement?.Un peu comme des enfants dont on accepte la turbulence et l'apparente inattention, sachant que leur simple présence atteste tout de même de leur ouverture et de leur intérêt pour l'enseignement?

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